
Historien, Juan Eslava Galán ressuscite dans ses moindres détails la vie quotidienne des Sévillans au XVIIe siècle, cette époque de bouillonnement économique et culturel où toutes les richesses des Amériques débarquaient sur les quais du Guadalquivir, et qui reste dans l´histoire anadalouse sous le nom de Siècle d´Or.
Juan Eslava Galán
L´orage a été de courtre durée. Lorsque la pluie cesse de tomber, il est temps de déjeuner. Nous nous adressons à un homme qui vend des mèches soufrées, à l´angle de la Casa de la Contratación, et, en échange d´un petit pourboire, il propose de nous accompagner dans l´une des nombreuses casas de gula de la ville. C´est le nom que portent certains restaurants bien approvisionnés, fréquentés par des commensaux aisés, essentiellement des navigateurs fraîchement débarqués (saturés de biscuit rassis et de viande salée) et de riches négociants qui fêtent la conclusion d´un marché avantageux.
L´aubergiste pose devant nous une carafe d´un âpre vin de Huelva et, après pris son souffle, récite la litanie des plats. Dans les menu, quelques astres rutilants de premier choix : l´excellent jambon d´Aracena, le mouton et le boeuf. Pour rien au monde nous ne voudrions mettre en péril le salut de notre âme en consommant de la viande un vendredi. D´ailleurs, l´aubergiste a l´allure de l´un de ces milliers de délateurs dont l´Inquisition a parsemé toute la ville. Nous devrons donc nous résigner à calmer nos appétits avec des poissons cuisinés, ceux qu´offre le Guadalquivir, prodigue et encore propre : aloses, anguilles et bars. Certains plats de la maison jouissent d´une réputation méritée. Par exemple, les aubergines au fromage, recommandées par l´un des plus illustres Sévillans du siècle, le gastronome et poète Baltasar de Alcázar. Le garde-manger bien remplis de l´établissement contiennent aussi les produits de l´Aljarafe, ce haut jardin musulman qui fournit la ville en légumes, fruits, lait, vin et miel, d´excellente qualité. Et pour accompagner le tout, l´inimitable pain d´Alcala de Guadaira, l´Alcala des boulangers, célèbre aujourd´hui encore, et pour cause.
À Seville, même pendant ce Siècle d´Or, il y a bien plus d´affamés que de repus. Le contraste violent entre une richesse insultante et la pauvreté la plus abjecte est monnaie courante : on n´y prête aucune attention.
Au long du siècle, les indigents de la ville subiront six famines galopantes durant lesquelles des milliers de personnes mourront littéralement de faim. Mais il s´avère que ce sont les riches qui font l´histoire, tandis que les souffrances économiques des pauvres n´ont laissé que peu de traces dans les chroniques. En 1520, par exemple, on enregistre une rixe entre citoyens indigents, qui ne parviennent pas à designer la personne qui a vu en premier l´appétissant cadavre d´un chien de rue famélique - celui-ci avait été renversé par une voiture sur la voie publique. Quant au chat, cet animal domestique exterminateur de souris qui, dépouillé et décapité, peut honorablement passer pour un lièvre, son recensement urbain commence à baisser de façon alarmante sans que nul ne s´inquiète de la possible disparition de l´espèce.
Puisque nous voilà installés dans le théme de la cuisine exotique, peut-être faut-il ajouter que dans le jardin potager du médecin et botaniste Nicolás Monardes, situé dans la centrale rue Sierpes, sont en train de pousser les premières tomates d´Europe. Don Nicolás Monardes les montre, avec une simplicité sévillane pleine de réserve, à ceux qui s´intéressent à ses recherches.
"Entre Colomb et Don Quichotte", in Séville XVIe Siècle
Le Goût de Séville
Jean-Noël Mouret (org.)
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